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"Pilotlist" le samedi 15 décembre 2001, à 23 h 57,
immédiatement après le départ de Concorde.
Ouf !
Jpé est bien rentré chez lui, me voici rassuré.
Je peux donc maintenant vous raconter un peu ma journée "Concorde".
Réveil à 8 h 30, préparation du Fabien (machine de plus en plus longue à mettre en route)
- Vérification de l'appareil-photo. Pellicules, piles...
- Je prends aussi mon casque, on ne sait jamais, au cas où le MCR grenoblois vienne quand même et me fasse faire un tour :-((
- Vérification de l'AR 108. Piles? Rechargées. Ecouteur? Où ai-je mis ce p%#*µn d'écouteur? Aïe, l'heure tourne! Ca y est, le voici enfin.Premier coup de fil de la journée: Allo, où est-ce qu'on se retrouve pour le Concorde?
Second coup de fil: Allo, je vais voir le Concorde, tu sais à quelle heure il arrive?
Et ça a été comme ça toute la journée...Ma voiture annonce une température extérieure de - 8°. Mais l'air est sec, ce n'est pas désagréable. Il est déjà près de 10 heures et demi, l'oiseau doit arriver à 11, je vais bien réussir à le louper.
A peine sorti de Pont-du-Château (situé sous la finale), déjà des voitures louches sont stationnées dans les chemins, le long de la route, par ci, par là...Me voici sur la route qui longe l'aéroport et la voie ferrée. Dès le bout de piste 26, les deux bas-côtés sont pleins. Des voitures partout, et des gendarmes aussi: pas moins de 4 véhicules bleus à gyrophare, rien que pour protéger le pont sous l'autoroute A 72.
Quel plaisir de voir autant de monde: la cohue! Tout ça pour un avion! Et allez me dire, après ça, que l'aviation n'est plus populaire, que les avions font trop de bruit, et tout et tout...
Entrée du parking: des vigiles. Euh... Ma licence FNA, c'est pas bon pour rentrer? Non. Ma licence de base? Non. Mon badge pour le parking du club? Non. Bon bin tant pis, faudra y aller à pied, comme un simple "non-pilote";-))...
Coup de chance: une place toute proche. Je retrouve sans peine mes amis, et on tente de s'approcher.Mais voilà: le grillage est noir de monde! Si j'avais voulu une bonne place pour les photos, il aurait peut-être fallu se lever plus tôt.
Imaginez donc le bonhomme: grand manteau noir (il fait pas chaud, c'est sûr), gros appareil-photo avec un long téléobjectif 300 mm et son pare-soleil, un écouteur dans l'oreille avec son fil venant du AR 108, dans la poche intérieure. Une copine me dira que j'avais l'air mi-paparazzi (ou zzo) mi-agent-secret-pas-discret-du-tout.Dans la brume légère de la longue finale, un phare apparaît. "C'est lui, c'est lui!", dit la foule. "Bin non, c'est pas lui", dit le Fabien en ce tenant l'écouteur dans la noreille, histoire de bien crâner, pour une fois.
"Comment il sait ça, lui?
- Parce que je l'ai entendu, c'est un avion de Regional Airlines"... Wouahhh.
Puis enfin, un vol Air France s'annonce sur la fréquence approche. "Ca y est, le v'là, il est au-dessus de Thiers", dis-je, tout fier. Tout le monde me regarde bizarrement, comme si je savais où se cache Ben Laden. Je n'ai jamais autant fait le barbo (ortogaffe?) qu'aujourd'hui; dire que je suis censé être coincé, d'habitude! Ce doit être l'euphorie spéciale Concorde.
"Il descend vers 3500 ft, doit être au-dessus de Lezoux"
"Maintenant, il approche de Pont-du-Ch', on devrait le voir".Une jeune fille devant a de meilleurs yeux que moi (pas abîmés par les heures passées à lire la Liste et à virtu-voler devant un écran, elle): "je le vois!!!"
Et tout plein de grands AAAHHH et de grands OOOOHHHH dans la foule.
Ca y est, je le vois aussi. Il grossit.
Bon sang, qu'est-ce qu'il est cabré! Si je touche aussi cabré avec le HR 200, la queue sera posée avant les roues.
Il arrive vite, semble-t-il, et malgré cet angle d'attaque impressionnant. L'arrondi est magnifique, assez long, les tourbillons de poussière ont du mal à suivre.
Reverses: quel joli rugissement, beau sans être trop fort; il perd de la vitesse assez rapidement, mais va quand même utiliser la plus grande partie de la piste. Pas question de sortir à C3 comme un A320...Il tourne en zone Ouest, puis revient vers nous par le parking, entre le fret et l'aérogare.
Toute la foule se rapproche pour se concentrer vers l'unique grillage qui permettrait de le voir d'assez près. Pas la peine d'essayer de s'y faufiler pour le moment.
Du coup, j'emmène deux amis visiter l'aéroclub. Il doit être 11 h 30 passées, maintenant, et le pointu ne doit repartir que vers 13 heures. Le bar du club est plein: trop de monde pour moi. Allons plutôt voir nos avions...
Un HR 200 arrive, l'autre repart. Le Cessna 172 part lui-aussi, tout comme le TB9. Quelle activité! Voilà qui fait plaisir.
Je retrouve un petit groupe de pilotes qui ont bien l'intention d'aller voir le superbe oiseau blanc de plus près, sans la foule, sans le grillage. Mais c'était sans compter sur les pseudos-petits-chefs de la sécurité. Arrivés à moins de 100 mètres, l'un d'eux pique sa crise d'autoritarisme débile et nous fait chasser tels de dangereux terroristes. Espèce de petit roquet en cravate, va, le jour où tu auras besoin d'un service, ne compte pas sur nous, c£$*µ3d de mes deux!Retour au club. Ou pourrait-on trouver un sandwich? Au restaurant de l'hôtel. Bin non, pas de sandwich aujourd'hui, trop de monde, débordé. Dans l'aérogare? Pas de problème, il y a tout ce qu'il faut. Certes oui, mais pas pour nous!
A l'entrée de celle-ci, après nous être faufilé entre des policiers de toute catégorie, de charmantes hôtesses nous demandent notre invitation. "Pardon, il faut une invitation pour entrer dans l'aérogare, maintenant? Et si on veut manger: le bar est presque vide!" Bin non, pas d'invitation, pas de sandwich, ni quoi que ce soit d'autre, d'ailleurs.
En sortant, une grosse 607 brillante déboule juste devant nous, escortée par 4 motards. Pas 2, pas 3, mais bien 4 motards. En sortent le maire de Clermont et deux autres inconnus se prenant pour le centre du monde. Non mais franchement, qui pourrait bien vouloir s'abaisser à assassiner des fiotes dans votre genre? Vous avez vraiment besoin d'une escorte comme celle-ci? Au moins, ça donne un aspect concret à quelques-une de nos taxes.
Ridicule, déplorable et lamentable. Et en plus.... Non, je me tais, je ne ferais pas de politique sur la Liste.Avec tout ça, l'heure a tourné et ça ne vaut plus le coup d'aller manger.
Nous allons reprendre notre position plus loin, vers un trou dans la foule collée au grillage. Toujours avec mon écouteur branché sur la fréquence qui-va-bien, j'annonce la mise route à mes voisins. Puis j'annonce le roulage vers la point d'arrêt 26, super, il va passer devant nous. Tout se passe bien, il est presque à l'heure, disons à peine plus de 13 heures.
"Il copie la clairance, il sera bientôt prêt".
Les appareils-photo s'arment, les caméscopes sont en route, les enfants sont sur les épaules des parents...
"Bon, nous souhaiterions rentrer au parking pour vérification technique.""Eh oh, les gars, rentrez chez vous, il ne part plus! (Pourquoi personne ne m'écoute?) Pssiiittt, houhouou, fini, a plus Concorde, retour maison, il reste au sol, il est en panne!!!!"
Mais qu'est-ce qu'il dit, l'autre, là avec son appareil-photo prétentieux et son oreillette ridicule?
"Bon, d'accord, me croyez pas, restez là à vous les geler!"Et voici mon Concorde qui s'aligne sur la piste, mais qui ne prend pas de vitesse, qui ressort à C3, qui reprend exactement la même place, et qui coupe tout... Fini.
A la radio, la contrôleuse annonce qu'elle repousse son plan de vol d'une demi-heure: "Ca ira? - Bin, heu, ça risque d'être juste, 14 heures..."
Puisqu'on ne peut manger nulle part, sur cet aérodrome-réservé-à-une-certaine-élite-dont-je-ne-suis-même-pas-digne-de-bouffer-les-restes, on va se taper du MacDo, non mais. Vengeance.
Je téléphone à un de mes informateurs [ ;-)) ] pour qu'il me tienne au courant. De même, plusieurs personnes appellent leur informateur (c'est-à-dire moi) pour qu'il fasse la même chose.
Premier message texto en arrivant au MacDo: "Fuite hydro. Plan de vol pour dans une heure".
Il est 14 heures, ça fait donc 15, et ça nous laisse le temps d'apprécier ces ecxelllllllents macChicken et ces délllliciiiiieuses potatoes.
Les coup de fil s'ajoutent "Selon mes dernières infos, c'est pour 15 heures, peut-être", et voilà comment on épate ses copains...
Même depuis le MacDo, une oreille pour les amis, une autre pour le récepteur VHF. Et au moment du dessert: "Clermont sol, vous pouvez retarder notre plan de vol d'encore une heure, s'il vous plait? Et pourriez-vous nous donner l'évolution prévue de la MTO, et du vent en particulier? - Pas de problème, plan de vol pour 16 heures, je vous rappelle"...
Et moi de rappeler mes nouvelles infos à mes amis épatés. Il n'aura jamais autant servi, le portabeul'...De retour du resto, coup de fil de Jean-Pierre Paralis: "J'suis à ton club! -Chouette, j'arrive".
Et voilà mon premier mini-rascoll. Je fais donc la connaissance de Jipé et sa petite famille adorable, déjà en grande conversation avec Didier, ancien colibri désabonné à cause des 90 % de conneries non-aéro et de mails trop longs comme celui-ci.
Jipé aurait du arriver plus tôt, mais a eu un petit problème technique, lui-aussi. Il va au bureau de piste payer la taxe, ce qui nous donne un prétexte pour approcher le Concorde de près, sans grillage surpeuplé.
Et sur qui je tombe? Le même c*µ$£ù%rd que ce matin qui semble être décidément le seul à s'interesser aux dangereux pilotes du week-end que nous sommes. Mais le Jpé ne se laisse pas em%£$*der et lui explique le reste.
Seul problème, il faudrait que le pointu se dépêche de s'arracher, car Jpé ne voudrait pas rentrer chez lui après la nuit aéro, forcément.Vers les 16 h 10, notre Concorde décolle enfin, magnifique, majestueux, brillamment bruyant. Je suis étonné de la faible distance de piste utilisée; sitôt arraché du sol, il vire au nord en souplesse.
C'est vraiment impressionnant, c'est tout simplement beau, et c'est franchement trop court...
En quelques secondes, il ne sera plus qu'un point brillant au milieu d'un ciel parfait (typiquement auvergnat), filant vers Cognac puis l'Atlantique.
Au moment de quitter la fréquence tout, le pilote demandera "C'était beau?"
"Très beau, Monsieur, au revoir..."
J'accélère un peu pour la suite...
Je quitte l'aéroport (et la fréquence) pour un petit moment, espérant revenir pour le retour de la boucle au-dessus de l'Atlantique. Mais celle-ci a du être légèrement écourtée, car le bel oiseau est déjà au parking quand je reviens, vers 18 heures.
Qu'importe, puisque je ne le reverrai peut-être jamais d'aussi près, je reste jusqu'à son départ.
A la radio, le pilote du Falcon Michelin, après son atterrissage, demande à quelle heure "Il" repart (sous-entendu, le Concorde). "A 17:45", lui répond la tour. Effectivement, à 18 heures 45 (locales contre TU) précises, le pilote privilégié demande la mise en route. Et par - 8°, je sors contre le grillage pour l'admirer une dernière fois rouler, juste devant moi, pour la piste 26.
C'est bizarre, il y a beaucoup moins de monde...L'arrêt en bout de piste est rapide, j'entends l'autorisation de décollage (encore une fois, merci Eric!), le bruit arrive un peu avant l'avion, et il s'arrache encore plus court que la première fois.
Je vois bien les quatre lampes à souder qui le poussent, une dernière fois, il s'incline joliment vers la droite, prend de l'altitude à une vitesse phénoménale.
Il coupe alors la PC, s'éloigne vers Moulins, et disparait rapidement au milieu des autres étoiles.
Voilà le récit, un peu long je sais, d'un jour mémorable, vraiment.
Et alors que mon coeur a battu la chamade toute cette journée, ce soir, il éprouve comme un petit pincement. La même chose que lorsqu'il se résigne devant une fille trop bien pour lui.
Car je me dis que jamais, probablement jamais, je ne pourrai profiter des charmes de ce bel oiseau blanc, voire atteindre son cockpit à Mach 2, quelque part, loin d'ici...